Le 20 juin 2015, j’ai eu la chance de découvrir Soweto à vélo, grâce à Lebo’s Soweto Bicycle Tours. Une activité eco-friendly très enrichissante qui permet de porter un regard différent sur la vie au sein du Township.
Vivre dans une bulle…
Comme la plupart des expatriés, je vis au nord de Johannesburg, dans un quartier résidentiel où de grandes villas individuelles côtoient des complexes de maisons, appelés clusters ou estates, et des centres commerciaux. La plupart de ces habitations ont le point commun d’être dotées de systèmes de sécurité permettant à tout un chacun de dormir sur ses deux oreilles : clôtures électriques, barbelés, systèmes d’alarmes, gardiens, détecteurs de mouvements, parfois même des caméras…
La peur du crime pousse les gens à se barricader, enfermés dans une sorte de paranoïa, une méfiance vis-à-vis de l’Autre. Dans ce contexte, la vie peut rapidement se résumer à un triangle maison sous barbelés, bureau gardé, centre commercial sous haute surveillance, avec peu d’opportunités ou de volonté d’aller voir ailleurs (au centre de Johannesburg par exemple).
Même si la situation tend à s’améliorer depuis une dizaine d’années, la criminalité demeure un véritable problème à Johannesburg, on ne peut pas le nier. Vingt meurtres par jour sont recensés en moyenne, en grande majorité dans les townships ou dans le CBD. A Diepsloot, le township le plus dangereux de la ville, il y a 16 meurtres par mois. Sans parler des viols, des carjacking et des cambriolages qui résonnent au quotidien dans les médias locaux.
Une histoire récente douloureuse et des inégalités économiques criantes expliquent ce taux de criminalité record. Les chiffres parlent d’eux-même : le taux de chômage officiel est de 24%, mais atteindrait en réalité 40%. Dans les townships, seule une minorité de personnes travaille et la moitié des Noirs de moins de 30 ans est au chômage. Un Sud-Africain sur deux vit avec moins d’un euro par jour. La population blanche, dont le revenu moyen reste six fois supérieur à celui des Noirs, représente 10% de la population et possède 80% des richesses. Saisissant. (Source : article sur le reportage « Villes violentes », tourné à Johannesburg)
Comme je l’explique dans Mes premiers pas en Afrique du Sud, on ne ressent pas l’insécurité dans nos beaux quartiers. On reste juste vigilants du haut de nos tours dorées. Et parfois, à toute allure sur la Highway, au volant de nos jolies voitures climatisées, on aperçoit les silhouettes des abris de tôles où le linge qui sèche au soleil nous rappelle qu’il y a de la vie, là, si proche et si loin à la fois.
Tout un monde que je ne connais pas et qu’il m’est tout simplement impossible d’ignorer.
… et choisir d’aller respirer ailleurs : Soweto, nous voilà.
D’importantes pages de l’histoire du pays se sont écrites à Soweto, ville symbole de la lutte contre l’apartheid. Et cette ballade en vélo dans les ruelles du SOuth WEstern TOwnship, nous a permis d’en décrypter quelques lignes.
Le rendez-vous était fixé à 13h au Lebo’s Soweto Backpackers, à Orlando West. Nous commençons par un déjeuner local, à base de pain et de ragout : le bunny chow (à l’origine une spécialité indienne de la communauté de Durban), décliné en trois options dont une végétarienne (youhou !). De quoi nous donner de l’énergie pour les quatre prochaines heures de pédalage !
Après avoir chacun choisi sa monture, nous nous dirigeons tout d’abord en haut de la colline où nous faisons une première halte, un peu essoufflés, mais heureux de pédaler à l’air libre (une première pour moi depuis notre arrivée… ici, on fait malheureusement tout en voiture).
Notre guide, né à Soweto et fier de l’être, en profite pour nous donner les premières explications, tout en nous invitant à contempler l’immensité du quartier qui s’étend à perte de vue.
Soweto est en effet le plus grand township d’Afrique du Sud où vivent aujourd’hui 1,5 millions d’âmes (les chiffres restent très approximatifs). Une ville dans la ville, enracinée au sud-est de Johannesburg, créée dans les années cinquante dans le cadre de l’apartheid. Les Noirs expulsés de zones déclarées blanches ont alors été relogés dans des matches houses (maisons-boîtes d’allumettes), toutes construites sur le même modèle. A côté de ce type d’habitations se sont développés les shacks, habitats informels posés à même la terre battue faits de tôle, de carton et de bâches en plastique. Pour finir, des maisons plus grandes et bien équipées sont aujourd’hui occupées par les familles aisées.
Initialement destinés à être donnés aux habitants de Soweto, ces logements sont en réalité soumis à un loyer que les habitants n’ont pas les moyens de payer. Ces habitations sont inhabitées et se dégradent au fil des ans. Un beau gâchis.
Nous poursuivons pour rejoindre une ruelle que nous arpentons à pied, à la rencontre des habitants. L’occasion de nous initier aux formules de politesse en langue zoulou : Sawobona ! Yebo ! Sharp, Sharp ! L’odeur des eaux usées qui ruissèlent au milieu du chemin nous rappellent que l’hygiène est un défi de taille à Soweto, où les installations sanitaires, l’eau courante et l’électricité ne sont toujours pas accessibles à tous.
Nous rejoignons ensuite un ancien shebeen (bar), où nous goûtons une bière traditionnelle au goût particulier : l’umqombothi, à base de sorgho et de maïs. Pendant l’apartheid, les shebeens vendaient illégalement cette boisson brassée par les femmes, alors que le commerce de l’alcool était contrôlé par les Blancs. Un acte de résistance pour les militants qui s’y retrouvaient pour refaire le monde tout en écoutant de la musique.
Notre guide nous introduit au rituel de dégustation de l’umqombothi
Autrefois brassée de façon artisanale, cette bière existe aujourd’hui en version industrielle : la Joburg Beer
Nous sillonnons alors des quartiers plus aisés avec un arrêt devant la maison d’Abigail Kubeka, une célèbre chanteuse sud-africaine qui a choisi de rester vivre à Soweto, avant de rejoindre le mémorial Hector Pieterson. En 1976, Soweto fait la une de l’actualité internationale lorsque la police réprime dans le sang une manifestation d’élèves noirs qui protestaient contre la décision d’imposer l’afrikaans comme langue d’enseignement obligatoire. Hector Pieterson, sur la photo tristement célèbre du mémorial, avait treize ans lorsqu’il est abattu d’une balle dans le dos. Des centaines d’élèves ont trouvé la mort ou ont été blessés, provoquant une vague de révoltes dans tout le pays et contraignant le gouvernement à retirer la circulaire sur l’afrikaans.
Nous gagnons ensuite Vilakazi street, qui se trouve être la seule rue au monde où ont habité deux lauréats du prix Nobel de la paix : Nelson Mandela, qui y a vécu avant son emprisonnement, et Desmond Tutu. Une fierté pour les habitants de Soweto, inspirés encore aujourd’hui par ces deux leaders charismatiques.
Nous finissons la journée dans un shebeen, sur des airs live de Bob Marley, où nous nous désaltérons en buvant du cidre sud-africain, le fameux Savanna.
« Everything’s Gonna Be Alright »
Le soleil se couche sur la Table Mountain de Soweto (dixit notre guide en référence à une montagne du township dont la forme en plateau évoque la célèbre montagne du Cap). Des odeurs de plastiques brûlés nous piquent le nez. Les habitants de Soweto préparent le feu, qui leur serviront à cuisiner, à éclairer et à chauffer leur foyers.
Il est temps pour nous de regagner nos jolis quartiers, les poumons un peu encrassés, satisfaits d’avoir découvert un petit bout de Soweto. Une jolie introduction. Heureux également d’avoir ressenti une vie de quartier, où les habitants sont dans la rue, se parlent, se disent Sawobona. Un tel contraste avec chez nous, où il m’est impossible d’aller demander du sel à mes voisins car aucun d’entre eux n’a de sonnette…
Je suis quant à moi gagnée par une envie d’aller plus loin dans ma découverte de Soweto… peut-être en y faisant du bénévolat. A suivre.
Street Art à Vilakazi Street
Je salue également le travail de Lebo’s Soweto Backpackers, qui s’inscrit dans une véritable démarche de développement durable : implication de la communauté, création d’emplois, conversion d’une décharge en parc et terrain de football où sont organisées diverses activités à destination des jeunes, programme de volontariat… (en savoir plus).
N’hésitez à enrichir cet article en partageant vos remarques, questions, ajouts, précisions, modifications dans les commentaires en bas de page.
A tout bientôt !
Meli Green Seed
Découvrez plus de photos (pas si évident de faire des photos lorsqu’on est en vélo…) :
Bonjour,
je suis tombée par hasard sur votre blog, qui est super !
Nous voyagerons durant 1 mois en Afrique du sud courant novembre. Notre avion atterrira à 9h30 le 17/11 à Johannesburg. Nous pensions visiter le musée de l’apartheid, puis reprendre l’avion en soirée vers 19h pour le Cap.
Maintenant que j’ai lu votre article, Soweto me donne envie mais il faut faire des choix, on verra donc…
Malheureusement, je n’arrive pas à trouver des infos pour me déplacer dans Johannesburg à bas prix.
Depuis l’aéroport, j’ai vu qu’il y avait le Gautrain qui va jusqu’à Park station, mais après je ne trouve pas de bus pour aller vers le musée à part le red bus.
Autre solution, prendre un avion dans la foulée pour le Cap et faire le musée en fin de parcours, mais là nous aurons encore une voiture de location. Pourra-t-on trouver un parking pas trop loin du musée ?
Je vous remercie par avance pour toutes les infos que vous pourrez le donner et encore bravo pour votre blog que je vais continuer à parcourir.
Cdlt,
Mylène
Bonjour Mylène,
Merci pour votre message.
Pour circuler de manière simple, fiable et peu chère à Joburg, la meilleure solution est de prendre un Uber. Ce moyen de transport est utilisé par énormément de personnes là-bas et vous pouvez avoir toute confiance. Nous le prenions pour sortir ou à l’aéroport et n’avons jamais eu aucun problème. Il vous suffit de télécharger l’application sur votre smartphone, d’y enregistrer votre carte bancaire et de commander votre chauffeur lorsque vous en avez besoin. Il sera sur les lieux quelques minutes plus tard. Pas de transaction d’argent dans le véhicule, tout est automatisé, ce qui est aussi très pratique et sécurisant. Je vous recommande +++
Si vous souhaitez vous rendre à l’Apartheid Museum en fin de séjour avec votre voiture de location, aucun souci : il y a un grand parking au musée, que vous rejoindrez par l’autoroute sans risque.
Sachez que les 2h annoncées pour visiter le musée sont très sous-estimées ou alors il faut y aller au pas de course. Si on veut prendre le temps de lire, de regarder les documentaires vidéo et de s’imprégner de cette histoire bouleversante, il faut plutôt compter 3-4h. J’y suis restée pour ma part 5h, en déjeunant sur place (il y a un petit resto très agréable si besoin). Attention, tout est en anglais. Il vous faudra organiser une visite avec un guide privé si vous souhaitez avoir des explications en français ou aller à l’essentiel.
N’hésitez pas à me recontacter si vous souhaitez le nom d’un guide francophone, une adresse sympa pour séjourner ou d’autres infos sur Joburg ou l’Afrique du Sud en général.
Bel été et au plaisir de vous revoir par ici !
Un magnifique article ! très poignant et plein d’informations riches sur ce quartier légendaire …
Un immense merci Virginie pour ce commentaire si positif 🙂 A bientôt par ici !
Très bon article! Super intéressant à lire, continue comme ça! 😉
Merci Clara 🙂 En espérant te revoir prochainement sur le blog !
très bel article amélie.
ça donne envie d’y aller mais sans les loulous!!!! : )
Merci beaucoup Delphine 😀
On pourra l’organiser si vous voulez !
A tout bientôt
Merci pour cet article bien rédigé et bien documenté.
Merci Aline, ravie que cela te plaise !
Bonne journée